Bien avant la déferlante des festivals qui attirent, depuis quelques années, de prestigieuses stars occidentales, le Maroc a été, par le passé, une sorte de terre promise pour les vedettes du show business en mal d’évasions en tous genres. The Beatles, Jimi Hendrix, Led Zeppelin, Jim Morrison…, tous ont succombé à l’appel d’un pays fraîchement indépendant. On est dans les années 1960 et le Maroc est encore à mille lieues du tourisme de masse. Seuls des «connaisseurs» le fréquentent, notamment ceux qui s’y installent pour des durées indéterminées. Il faut croire qu’une magie ample régit, en ces temps, différentes cités du pays.
Peu avant les années 70, au nord du Maroc, outre Rabat et Marrakech, Tanger attire les bohèmes et jet-setteurs en tout genre. La ville avait déjà une réputation sulfureuse: l’héritière Barbara Hutton, connue pour ses fêtes fastueuses, avait ses habitudes dans la ville du détroit où elle recevait l’intelligentsia internationale. "Il n’était pas rare de croiser Paul Bowles au café Hafa ou William Burroughs à la Villa Muniria, tapant à toute vitesse des paragraphes décousus qui allaient, plus tard, intégrer son roman 'Les Garçons Sauvages".
Abdeslam Akaâboune, celui que l’on nommait "Monsieur Tanger" pour son réseau de connaissances étendu dans la ville et un passé dans les services d’espionnage du royaume, était, par ailleurs, un passionné de musique gnawa et s’était entiché des hippies au point de recevoir les Rolling Stones chez lui à chacun de leur passage dans la perle du nord. C'est au Maroc que Brian Jones, le fondateur du groupe de rock et sa troupe, s'initient au sebsi et au maâjoune à la fin des années 1960, accompagnés de l’actrice Anita Pallenberg.
Brian Jones, en 68, découvre le village de Jajouka dans la région du Rif et y enregistre un album ("The Pipes of Pan at Jajouka"), sous l’initiative du peintre et écrivain Brion Gysin. Le poète Beat voyait en cette fête une analogie des Lupercales Romaines. En effet, la tradition dans ce village veut qu’un jeune homme courre durant la nuit drapé d’une peau de mouton récemment tué pour effrayer les habitants. Peut-être une analogie de Pan, divinité de la Nature grecque, Satyre protecteur des bergers et des troupeaux représenté dans l’imagerie homérique comme une créature aux sabots de chèvre. En 1989, les Stones y reviendront pour l’enregistrement de « Continental Drift » sur l’album Steels Wheels avec la participation de Bachir Attar (Masters of Jajouka).
Jimi Hendrix quant à lui trouvera son bonheur à Essaouira durant l’été 69
Le rêve hippie, introduit au Maroc par les touristes saxons et germaniques venus ici pour se dépayser, gagne peu à peu le territoire. "Le Maroc est assez proche de l’Europe mais est, en même temps, à des années-lumière de la culture formelle et rigide des Anglais et Allemands". Ainsi, les gens sont plus décontractés, les cheveux poussent et les pantalons se resserrent au niveau de l’entrejambe. Finis les pantalons gris et les coupes carrées, les jeunes s’encanaillent et la première génération de baby boomers finit par découvrir des produits jusque-là inconnus. Petit à petit, le jazz fait sa place, suivi des chewing gums, des cigarettes Lucky Strike et du Coca-Cola. La figure du teenager américain s'exporte au Maroc.
Mais tout le monde ne voit pas forcément d'un bon oeil l’afflux de hippies dans le royaume. À la frontière, les autorités marocaines refusent parfois de laisser passer les jeunes aux cheveux longs, considérés comme des ennemis intellectuels à cause de leurs moeurs dépravées et de leur volonté de vivre loin de toute autorité.
Les habitants du royaume ne voient pas forcément ces "va-nu-pieds" de la même façon: ils étaient en effet appréciés pour leurs bonnes manières et leur volonté de paix, un peu moins pour leur hygiène corporelle douteuse. La jeune bourgeoisie marocaine, par contre, leur jetait souvent des regards obliques, méprisant ces gens désintéressés aux cheveux longs, voyant en eux des "ratés" manquant d’ambition: pour Hamid, à cette époque, il y avait "lbitniks" d'un côté, et les "oulad mama" de l'autre.
Certains Marocains épris de liberté les voyaient arriver "comme une bouffée d’air frais" en ces temps stricts politiquement, mais ironiquement les teenagers occidentaux percevaient les Marocains comme les libérateurs d’une société prise dans un carcan. Car c'était bien pour fuir une société marquée par les Trente Glorieuses (vingt-huit ans qui séparent la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, du choc pétrolier de 1973) et qui ouvrait la porte au consumérisme effréné que les hippies étrangers venaient trouver refuge au Maroc, essayant tant bien que mal d’échapper au puritanisme de leur pays d’origine, pour s’essayer ici à d'autres expériences, plus ou moins licites.
Les Beatles sont revenus ensuite faire quelques escapades à Tanger.
1970-71, le groupe THE DOORS enregistre le dernier album, qu’il doit faire pour honorer son contrat avec le label Electra, puis Jim Morrison part avec Pam, ils prennent un vol pour le Maroc (Tanger), l’Espagne, … et la France (Paris). Jim Morrison et sa compagne Pamela Courson s’arrêteront à Tanger puis dans la ville ocre d’Essaouira pendant l’été 71 pour fuir le scandale soulevé par Morrison lors d'un concert à New Haven, dans le Connecticut - il aurait montré son pénis à la foule.
Vers 1994, quatorze ans après la mort de leur batteur John Bohnam et la dissolution du groupe en 1980, deux des fondateurs de Led Zeppelin, Jimmy Page et Robert Plant, se retrouvent à Marrakech pour enregistrer une poignée de chansons qui figureront dans un album live, "No Quarter: Jimmy Page and Robert Plant Unledded", sorti en octobre 1994.
Ce dernier, destiné à être diffusé dans l'émission MTV Unplugged de la célèbre chaîne musicale américaine, reprend plusieurs titres qui ont marqué l'histoire de Led Zeppelin mais également quelques inédits. Si ce n'est pas à proprement parler un album de Led Zeppelin, puisque l'ancien bassiste, John Paul Jones, ne fait pas partie de ce projet, il n'empêche que l'âme de l'un des plus grands groupes de rock britannique subsiste.
Certains titres de l'album ont été enregistrés avec un orchestre égyptien, une chanteuse indienne et l'orchestre Metropolitan de Londres. Mais les trois chansons enregistrées au Maroc avec des gnaouas, "Yallah (The Truth Explodes")", "Wah Wah" et "City don't cry" sont sans nulle doute les plus intéressantes de l'album par leur originalité et leurs sonorités.
En venant se produire à Marrakech au milieu des années 90, sur la place Jemaa el-Fna, Robert Plant et Jimmy Page renouent avec une vieille histoire qui les liait au Maroc depuis 1973, année pendant laquelle les deux musiciens ont parcouru le désert marocain, de Tan-Tan à Guelmim, juste après une tournée aux Etats-Unis. On est en pleine période hippie, et les deux rockeurs ne sont pas les seuls artistes étrangers à venir chercher leur inspiration dans le royaume.
C'est pendant ce premier voyage que Robert Plant a écrit l'un des plus célèbres titres de Led Zeppelin, "Kashmir". Comme le nom de leur chanson ne l'indique pas, ce n'est pas l'Inde qui les a inspirés, mais bien leur voyage à travers le Sahara.
"L'inspiration est venue du fait que la route n'en finissait pas. C'était une route à voie unique qui coupait parfaitement à travers le désert. A trois kilomètres à l'est et à l'ouest se dressaient les crêtes des roches de sable. C'est comme si vous conduisiez sur un canal, et qu'il n'y avait pas de fin", confiait le chanteur Robert Plant à un journaliste américain.
I met Brian Jones after he returned from the village of Jajouka in Morocco having made some recordings there. As a musician he seemed to be extremely interested in what they were doing with music.”
William Burroughs, novelist, 198 6
J'ai retrouvé les traces du Rolling Stone Jajouka, un énigmatique village au sud de Tanger, bled de moins de mille habitants où pourtant se croisent la modernité et la mythologie, la musique et la littérature, où, dans l'orbe de Brian Jones, on retrouve William Burroughs et Paul Bowles, Andy Warhol et John Lennon, le dieu Pan et la déesse Astarté, et où une dynastie de montagnards est poussée dans le cercle vicieux de "poètes terroristes". Jones lui-même joua de la flûte de Pan et, tel maître Hamelin, attira plusieurs générations dans les eaux troubles en quoi il finit par se noyer. J'ai évoqué les derniers jours du Rolling Stone, exploré la fascination qu'aujourd'hui encore il continue d'exercer et ses effets pervers pour un village maghrébin dont la tradition séculaire est bousculée par sa collision avec le temps présent. En 1971, le label Rolling Stones Records produit l'album Brian Jones présents The Pipes of Pan at Joujouka, après le séjour du membre fondateur des Stones dans ce petit village nord-marocain. L'album allait contribuer à révéler au monde entier le groupe ancestral The Master musicians of Jajouka. Il allait aussi changer la destinée de Brian Jones.
Gaston Carre - "Retour à Jajouka : Sur les traces de Brian Jones au Maroc" - 2012
It’s the stuff of legend, except that it’s true. Drugs, sex and rock ’n’ roll. Throw in a British luxury car, and you have all the ingredients of Keith Richards’ notorious road trip to Morocco 50 years ago.
In February 1967, awaiting a British court appearance for narcotics possession, Rolling Stones guitarist Richards decided that he and his bandmates could use a getaway. He proposed a trip through France and Spain to drug-tolerant Marrakesh, Morocco, and although Mick Jagger and Brian Jones needed little convincing, Bill Wyman and Charlie Watts apparently declined the invitation.
According to Richards’ 2010 biography, Life, Jagger and his then-girlfriend, Marianne Faithfull, flew to Marrakesh, while Richards and Jones planned to drive to North Africa along with Jones’ girlfriend Anita Pallenberg and friend Deborah Dixon.
Jeff Peek - ‘Rolling Stoned: Keith Richards’ drug-seeking, girlfriend-stealing road trip to Morocco in a ’65 Bentley’ - February 14, 2017 - www.hagerty.com/articles-videos/articles/2017/02/14/rolling-stoned
The name 'Morrison' is thought by scholars to derive from Latin root of 'Moorish'. In Roman times, soldiers from farflung provinces were moved around to guard different parts of the empire. Thus Celtic troops from Britain would be sent to Morocco, while Moors from North Africa maintained order in Britain. Folklorists say, for example, that the quaint English custom of the Morris dance can be traced to a Moorish antecedent. In this context, Morrison could mean "Moor's son". Late in his life, Jim would visit Morocco several times, searching for something he was unable to describe to his travelling companions. Stephen Davis - "Jim Morrison: Life, Death, Legend" - 2011
Pre-eminent multimedia psychedelic shaman of the latter-half of the Twentieth Century, Gysin was something of a jack-of-all-trades: Artist, Calligrapher, Entrepreneur, Kinetic Sculptor, Novelist, Performance Artist, Photographer, Poet, Raconteur, Restaurateur, and Traveller in This-and-Other Worlds. Brion did it All.
And even a brief list of the names he crossed paths with sounds like a veritable Who’s Who: Laurie Anderson, Francis Bacon, David Bowie, Paul Bowles, Ira Cohen, Ornette Coleman, Max Ernst, Marianne Faithfull, Leonor Fini, Jean Genet, Keith Haring, Billie Holliday, Brian Jones, Timothy Leary, Iggy Pop, Genesis P-Orridge, Patti Smith, Gore Vidal – and, of course, his long-term friend and collaborator, William Burroughs – are among the friends, fellow-travellers and sometimes collaborators that have spoken of their admiration for the Man and his Work.
It was Gysin who introduced the Rolling Stones to the exotica of Morocco and took Stones’ guitarist Brian Jones to Jajouka where he recorded the tribal musicians performing the Pipes of Pan.
John Geiger - 'Nothing Is True-Everything is Permitted: The Life of Brion Gysin' - 2005
In 1973, Jimmy Page had been experimenting his guitar with an alternative D modal, or DADGAD, tuning often used on stringed instruments in the Middle East, when he hit upon the hypnotic, rising and falling riff. The song came together over a period of a couple of years. John Bonham added his distinctive, overpowering drums during a two-man recording session with Page at Headley Grange. Singer Robert Plant wrote the lyrics while he and Page were driving through the Sahara Desert in Southern Morocco. (Neither Page nor Plant had ever visited Kashmir, in the Himalayas.) Bassist and keyboard player John Paul Jones added the string and horn arrangements the following year. In a 1995 radio interview with Australian journalist Richard Kingsmill, Plant recalled his experience with "Kashmir".
Extrait de "It might get loud", film de Davis Guggenheim avec The Edge, Jimmy Page et Jack White.